The Spaceless Gallery : entretien avec une galerie itinérante
“Je souhaitais faire le pont entre des lieux uniques et des pièces de collection.”
Béatrice Masi, fondatrice de la galerie
The Spaceless Gallery a vu le jour en 2019, sous l’impulsion de sa fondatrice Béatrice Masi. Son désir était de créer une entité mouvante afin de représenter et défendre le travail de ses artistes. Des artistes qui étaient des amis, des connaissances, des coups de cœur artistiques et qui ont fait le choix de rejoindre une galerie dont la forme et le fonctionnement n’en rappelle aucune autre.
La Spaceless Gallery
En quelques mots, comment définirais-tu ta structure “nomade” ?
J’entends par nomade le fait de changer de lieu d’une exposition à l’autre. Je me différencie des autres galeries par le fait que je n’expose que rarement dans des galeries “white cube”, je suis reçue par des lieux atypiques comme des concept et fashion stores, des galeries intimistes ou encore des fleuristes et espaces extérieurs.
Pourquoi avoir choisi ce modèle ? Peux-tu nous citer un avantage et un inconvénient ?
L’avantage qui vient tout de suite à l’esprit des gens c’est l’absence d’un loyer fixe. Mais finalement, ce n’était pas la première motivation pour moi. Je voulais faire rayonner une même œuvre dans des contextes différents, j’aime l’idée d’avoir le travail d’un artiste qui évolue en fonction du lieu. L’inconvénient c’est qu’on n’a pas d’adresse. Nous devons veiller à ce que les collectionneurs soient suffisamment motivés pour nous suivre. Mais cela veut aussi dire qu’on peut se rapprocher d’eux.
Comment le contexte actuel a-t-il affecté ton activité et comment t’es-tu adaptée ?
Finalement, le contexte a plutôt été positif pour une galerie comme la mienne car j’ai pu être très agile et rebondir rapidement en cas de fermeture ou annulation d’une exposition. Cette liberté m’a aussi permis d’exposer mes artistes dans des marchés et des pays où les restrictions étaient moins conséquentes. Je pense notamment à l’exposition Dream Big de Jayde Cardinalli en Chine.
Je me suis adaptée à deux niveaux : en rebondissant pour des événements annulés à la dernière minute et en me redirigeant vers le virtuel. J’ai fait des collaborations avec des architectes, notamment pour la modélisation d’un désert virtuel dans le cadre d’une exposition sur l’art aborigène. Nous avons aussi créé un espace intérieur afin d’exposer le travail de Natalia Poniatowska, une photographe polonaise. Initialement, elle était programmée dans le cadre de la foire Fotofever. On a dû s’adapter et pour cela, on est allés à la conquête de nouveaux continents.
Ton modèle est basé sur la flexibilité et l’adaptation constante. Pourtant malgré l’apparente liberté, tu es limitée par une contrainte : la galerie repose presque entièrement sur tes épaules. Comment arrives-tu à gérer cette position ?
Il faut d’abord être naturellement très dynamique. On n’a pas tous l’envie ou la possibilité de prendre un vol pour monter une exposition à l’autre bout du monde. Il faut aussi garder à l’esprit qu’il y a une plus grosse part de logistique. On engage davantage de frais, c’est un pari. Il faut être flexible, ne pas avoir peur d’affronter un marché inconnu, d’aller à la rencontre de nouvelles cultures, de collectionneurs éclectiques. Une grosse partie du travail repose sur la vente mais aussi sur le lieu qui me reçoit. Il faut être capable de proposer quelque chose de complémentaire, de nouveau, tout en alliant les demandes du lieu, de l’artiste et des publics.
Comment choisis-tu les artistes de la Spaceless Gallery et pourquoi, selon toi, te choisissent-ils ?
Ma réponse instinctive c’est parce que je le sens. Ce n’est pas forcement raisonné mais plutôt sur la base d’un coup de cœur, sur sa cohérence artistique, son rapport à la matérialité. J’aime une multitude de mediums et cela se reflète dans mes choix d’artistes. Quant aux artistes, je pense qu’ils me choisissent premièrement parce qu’on s’entend bien, ils me font confiance et savent que c’est moi qui vais les accompagner. Et deuxièmement, peut-être parce que je leur propose quelque chose de différent, une visibilité internationale, des collaborations atypiques. Ça leur permet de voir leur travail dans des lieux différents, avec un regard différent. Je pense enfin que je représente une galerie d’une autre génération, les artistes sont souvent d’une génération plus âgée que la mienne et ils cherchent avec moi un regard nouveau, féminin et anglo-saxon.
Avec l’apparition depuis quelques années des NFT, tu as une nouvelle perspective qui correspond au modèle “spaceless”. Envisages-tu d’accompagner tes artistes vers la transition digitale ?
Je ne veux pas pousser mes artistes plasticiens justes parce que c’est à la mode, il faut que cela ait du sens. Si j’ai un coup de cœur pour des artistes qui travaillent uniquement de façon digitale ou avec les deux univers, je vais aussi vouloir collaborer avec eux. Je pense tout de suite à aurèce vettier, un collectif qui travaille à l’aide de l’intelligence artificielle et que j’ai présenté à deux reprises à Paris. Le digital est un outil, une sorte de “pinceau” pour reprendre les mots de Paul Mouginot, co-fondateur de aurèce vettier. Je trouve ça galvanisant de pouvoir les accompagner dans cette démarche.
De la sculpture de marbre jusqu’à la peinture, les artistes de la Spaceless Gallery déploient une variété de mediums différents. Ont-ils quelque chose qui les rassemble ?
C’est une question difficile parce que je n’ai pas de charte ou de prérequis. Le fil conducteur c’est mon œil et cela n’est pas rationalisable. En revanche, j’ai quand même observé deux choses qui me touchent particulièrement. D’abord les notions de transmission et de savoir-faire, que je valorise beaucoup. Puis un autre fil conducteur pour moi c’est l’exploration d’une matière, d’un thème, cela passe par la matérialité autant que par le concept. Il y a également une omniprésence de la nature dans le travail de mes artistes.
2022: un nouvel horizon
Quel fut ton meilleur moment de 2021 avec The Spaceless Gallery ?
On a fait beaucoup de choses, difficile de choisir ! Mais si je ne devais en citer qu’un, je pense que ce serait notre rendez-vous à Bâle, pour VOLTA Art Fair. J’y étais déjà allée en tant que visiteuse et cette année, j’étais de l’autre côté, à vendre. C’était un moment fort.
Quel artiste aimerais-tu représenter en 2022 ?
J’en ai pas mal, je ne peux pas en citer un seul. Je vous encourage à suivre notre actualité pour en savoir plus !
Te sens-tu proches des valeurs et esthétiques dominantes de l’art contemporain ?
Ce qui me plaît dans l’art contemporain, c’est que l’histoire n’a pas fait son tri et qu’on retrouve et s’identifie à différents types d’art contemporain. La réponse est donc oui, je me sens proche de ces valeurs dans plusieurs pratiques et domaines.
Ton courant/artiste favori ?
J’aime beaucoup l’art abstrait mais mes goûts évoluent aussi avec l’âge. Je recherche une émotion visuelle immédiate. Mais dans l’absolu, je ne suis pas attachée à un mouvement plutôt qu’à un autre.
Qu’est-ce que l’art ?
Pour moi, l’art est une fenêtre sur le monde. C’est une clé pour ressentir les choses différemment.
Comment imagines-tu la galerie dans 20 ans ?
Comme quand je choisis mes artistes, quand je projette la galerie c’est un feeling plus qu’une vision claire. Je me sentirai accomplie si j’obtiens le soutien de collectionneurs qui, avec le temps, continueront à me faire confiance.
Une collaboration de rêve pour la galerie ?
En ce moment, j’aime bien l’idée de collaborer avec une autre galerie itinérante, de partager un lieu ensemble pour quelques expositions.
Retrouvez toute l’actualité de The Spaceless Gallery sur son site internet ou sur son compte Instagram.
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